Piraterie en voilier

La route reliant Providencia (île colombienne) aux Caymans passe proche du Honduras. Ce passage est réputé dangereux à cause des pirates qui sévissent depuis quelques temps là-bas. Il y a un an, un bateau que nous connaissons en a fait les frais 😦 Nous avons également croisé d’autres voiliers qui ont évité l’abordage et d’autres encore qui sont passés sans encombre en frôlant les points chauds…

Que penser?

20180317_170317La route idéale serait de viser quasiment la Jamaïque au départ de Providencia ou d’emprunter la route dite « des cargos » … Impossible au vu de la direction du vent… Il faut donc tirer des bords. Mais lors de notre première tentative (voir article sur Providencia), nous avions dû renoncer à cause du cocktail détonnant: vent, vagues et courant…

Nous choisissons donc de partir plein Nord en route direct vers Grand Cayman. Ainsi, nous serons à 60 miles de Gorda Bank (endroit où ont été référencées les dernières attaques, cf:  https://safetyandsecuritynet.org/category/reports/ ) et à plus de 100 miles des côtes du Honduras.

D’un commun accord, nous décidons de partir avec un autre bateau. Mais avec le recul, ce choix n’a certainement pas été le plus opportun. Car deux voiliers sont plus visibles qu’un seul… Et que par nature, nous échangeons quelques petits appels VHF… De plus, nous étions un soir sans lune et avons donc navigué feux allumés afin d’éviter de nous perdre… Dernier point qui n’a surement pas été favorable pour nous, notre copain de route a laissé allumé son AIS…  Habituellement lorsque nous naviguons dans des endroits un peu douteux, Sea You est dans le noir complet avec son AIS en mode fantôme. Nous pensons aujourd’hui qu’il est plus prudent de naviguer soit en flottille dans ces même conditions (effet de masse), soit de naviguer seul mais en mode incognito.

Notre navigation…

Nous quittons à 9h00 Providencia pour les Caymans afin de rejoindre Nathalie, une amie qui est déjà sur place. Nos lignes de pêche sont à peine à l’eau et nous voilà déjà entrain de remonter 3 barracudas… Petite déception 😦

La mer est agitée, les Gribs annonçaient 20 à 25 noeuds constants et 30 en rafales, c’est cohérent. Des vagues de 3 à 4 mètres sont au rendez-vous… Vive le près 😉 Lors de ce type de navigation, nous sommes heureux d’avoir un 51 pieds car nous ne faisons pas bouchon sur l’eau… Nous croisons deux chalutiers de pêche près de Quito Sueno Bank. Le soir venu, après un magnifique couché de soleil, nos deux embarcations sont à moins d’un mile l’une de l’autre.

Avant le levé du jour, nous dépassons le point chaud de Gorda Bank. Pensant être hors de danger, notre copain de route sort donc toutes ses voiles et nous distance rapidement. Perrine est de quart… Un monologue commence sur le 08 (canal VHF utilisé entre nos deux bateaux). Ce n’est ni du français, ni de l’anglais et encore moins de l’espagnol… Manu se réveille… Etrange…

20180226_094405Vers 8 heures, Sea You part tout à coup au lof… Notre pilote automatique ne répond plus 😦 Manu fonce au niveau du secteur de barre… Le diagnostic est sans appel: l’axe reliant le secteur de barre à la tige de vérin est cassé 😦 II nous reste une bonne centaine de miles jusque Grand Cayman, nous décidons donc de barrer car au vu des conditions, une réparation en mer nous paraît compliquée…

Quelques instants plus tard, un furtif « BARCO GRANDE, BARCO GRANDE » est émis sur le canal 08 de la VHF… Bizarre…

Il est 9 heures, Perrine, à la barre, aperçoit au loin une embarcation d’une dizaine de mètres bien louche. Aux jumelles, nous constatons qu’elle est surchargée avec une dizaine d’hommes à bord. Elle se dirige droit sur nous 😦 Elle s’approche, ralentit, redémarre, tout en gardant une route de collision…

20180317_165927Nous distinguons encore les voiles de notre copain de route… Nous essayons de le contacter sur le 08… Nous restons sans réponse… Nous essayons sur le 16. Mais une seconde après, le canal est brouillé par de la musique à tue-tête! Plus aucun doute, ce bateau de « pêcheurs » n’est pas là pour faire du tricot… (point GPS: 16°4.31N, 81°18.51W)

Première décision, passez en force… Mais protégée par les bancs, la mer est assez plate et les pirates se rapprochent dangereusement…. Ils ne sont plus qu’à une cinquantaine de mètres. 4 gaillards sont sur le toit… Nous ressentons de loin leur nervosité et leur agressivité 😦 Et Merde, c’est pour nous…

A bord, nous ne sommes pas armés. D’autres voiliers le sont… Nous sommes contre et le restons malgré notre expérience. La mer n’est pas un stand de tirs immobile et les cibles ne sont pas en papier…

Nous prenons donc la fuite en empannant et en envoyant en simultané la grand voile et le génois au complet… Plein travers, Sea You accélère. Les pirates se retrouvent parallèle à nous sur notre babord arrière. Dans le stress, Manu allume le moteur plein gaz sans respecter le temps de chauffe et les préconisations constructeur sur les tours/minutes… BRRRRRrrrrrrr!!! Le moteur cale au bout de dix secondes 😦

Au même moment, Perrine équipe les enfants de leurs gilets de sauvetage et cache à la hâte les téléphones, ordinateur, tablette et papiers… Avec le recul, nous aurions du cacher à l’avance les choses de valeur inutiles pour cette navigation risquée… Petit conseil, éviter les vaigrages et les dessous de matelas, les pirates connaissent la planque 😉 Notre cachette est un double fond le long d’une varangue.

Nous nous éloignons du premier banc, la mer devient à nouveau hachée. Sea You est très dur à la barre, il avance à 10 noeuds (pointe à 11.8). La distance est toujours identique avec nos poursuivants… Robin, fin marin et avec son oeil d’enfant, annonce que leur bateau roule de plus en plus… Manu serre donc immédiatement le cap. Au prés et dans l’axe des vagues, nous arrivons à les distancer… Euréka!

Si nous n’avions pas réussi à prendre la fuite, nous aurions dévidé nos 2 lignes de pêche de 400 mètres en espérant qu’elles finissent dans leur hélice…

L’ambiance n’est pas au beau fixe à bord. En tant que parents, nous savons que nous l’avons échappée belle mais que rien n’est encore gagné… Pendant ce temps, Robin énumère toutes les techniques des James Bond, FBI, CIA et autres, Marius regarde dans le vide et Emile pleure…

Les vagues tapent fort, elles entrent fréquemment par dessus la capote, le cockpit est inondé comme jamais…

Manu gère le bateau et garde un cap Sud-Est. Perrine contacte le Cross Gris-Nez. Il prend note et reviendra vers nous rapidement afin de nous donner les bonnes directives par rapport à notre situation.

Au bout d’une heure, il nous recontacte et nous demande de repartir plein Nord afin de sortir au plus vite des eaux honduriennes. Manu refuse net… Certes, les pirates ne sont plus à vue mais avec nos voiles nous sommes plus visibles que leur petite embarcation moteur…

Manu tente de redémarrer le moteur. Il change les filtres à gazole, démonte, remonte et avale du gazole… Rien n’y fait…

Perrine trouve une route Nord slalomant entre les bancs afin de garder une mer formée… Nous virons de bord.  Au même moment, le CROSS nous appelle à nouveau en nous avertissant que nous ne sommes pas en sécurité. Nous les informons de notre nouveau cap. Notre interlocuteur nous sent plus posés. Il nous questionne sur le bateau, notre expérience et nos vivres…

Nous scrutons l’horizon depuis ce matin… Malgré nos lunettes, le soleil nous brûle les yeux…

Notre route est ensuite ponctuée par des appels du Cross toutes les heures… Grâce à eux, nous nous sentons moins seuls au milieu de la mer des Caraïbes.

Aux environs de 17h00, il nous informe de la présence de deux bateaux de l’armée Hondurienne sur zone. L’un est en approche mais il est encore hors de portée VHF.

30 minutes plus tard, les autorités honduriennes nous contactent par iridium. Nos échanges sont en anglais, mais la fatigue, les bruits ambiants du bateau et de la mer ne facilitent pas la tâche. Ils nous proposent une escorte jusqu’à l’une de leur marina afin de faire un rapport. Cependant nous ne souhaitons pas changer nos plans et gardons cap sur les Caymans.

18h00, nouvel appel du Cross. Il valide notre option de naviguer feux éteints et nous informe que nous serons en réelle sécurité au 17° degré Nord.

Avec le manque de sommeil, d’appétit et le contre-coup, le Cross ressent notre état… Ils nous contactent encore toutes les heures même au delà des eaux honduriennes.

Ca y est, nous sommes sur la route des cargos 😉 La nuit est paisible. Nous nous relayons à la barre toutes les heures au vu de notre fatigue de plus en plus pesante. Nous croisons 3 cargos… Perrine n’arrive plus à comprendre leurs routes et réveille Manu à chaque reprise pour qu’il prenne la barre…

Le lendemain matin, vers 9h00, nous contactons Nathalie (l’amie nous attendant à Grand Cayman). Nous lui expliquons notre situation: piraterie, pilote automatique en panne, moteur refusant de démarrer… D’une main de maitre, elle organise notre arrivée avec le Port Security de Grand Cayman… Par contre, nous devons arriver avant 18 heures si nous souhaitons être remorqué jusqu’à une bouée… Il est compliqué de mouiller aux Caymans de nuit car ils sont intransigeants avec les coraux et n’hésitent pas à mettre de fortes amendes si nous posons l’ancre dessus…

La pression remonte car il est midi et nous avons encore presque 50 miles à parcourir. Nous ne souhaitons pas passer une nuit de plus en mer, nous sommes exténués… Hop, hop, hop, nous accélérons la cadence, le bateau fuse. Nous faisons 7,8 noeuds de moyenne… Viva Sea You!

A une heure de l’arrivée, Manu a le « mal de mer », ou plutôt il décompresse… Nous contactons par VHF le Port Security, ils nous attendent 🙂

17h30, nous sommes en approche… Un bateau du port nous rejoint, nous remorque et nous rassure… Perrine est dans un tel état qu’elle n’arrive plus à accrocher un pare-battage sur la filière. Manu, de son côté, rate la bouée… Deuxième effet Kiss Cool?

En trente secondes, l’annexe est à l’eau afin d’effectuer les formalités. Gentiment ( ou grâce aux yeux doux de Nathalie 😉 ), les autorités nous attendent pour le check-in.

Il est 20 heures, nous prenons un véritable apéro avec notre invitée… Et nous n’oublions surtout pas d’appeler nos amis du Cross pour mettre fin à leur mission 😉

Nous tenons à remercier chaleureusement le Cross-Gris Nez, de véritables professionnels de la mer et des situations d’urgence, le personnel du Port Security caymanais pour sa disponibilité et son accueil, l’armée hondurienne pour sa discrète intervention ainsi que Nathalie qui récupèra un équipage épuisé et sous le choc…

27 réflexions sur “Piraterie en voilier

  1. Un petit soutien de votre tante… Comme vous avez du avoir la trouille ! Je pense beaucoup à vous , courage, courage et plein de gros bisous à vous 5. Caro

    Envoyé de mon iPhone

    >

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      1. Hello
        Thank you for this message
        A word to warn you that I sent you this report in long and detailed French about a month ago on this internet address (by signaling my personal email: …….. @ nordnet.fr)
        Maybe you lost it or not?
        Best regards
        Perrine’s father (sorry for my imperfect english 😉: Google translation)

        Aimé par 1 personne

  2. Très bien écrit maison quel stress rien qu’en le lisant donc je n’imagine Même pas votre état ….
    L’apero Du soir a dû être bon

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  3. On est de tout coeur avec vous!! Pirates des Caraïbes c’est pas toujours tendance!
    Fiers de votre courage. Bises aux enfants.
    Patrick &Fred Django

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  4. Tellement de stress rien qu’en vous lisant … on peut imaginer le vôtre ! Ouf ! Je vous envoie plein de chaleureux bisous à tous les 5. Catherine

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  5. Chers amis
    En lisant votre article, je frissonnais d’angoisse et de peur
    Quel courage et détermination vous avez pour affronter cette dure épreuve avec les enfants
    Bravo à See You Family
    Nous sommes fiers de vous
    Bizoussss de Lys des Mers

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  6. Nous en frémissons encore rien qu’à vous lire. Vous voilà prêts pour un superbe scenario de film d’action, comme ceux que j’aime, avec des héros de choc et qui finissent bien !
    Les enfants ne regarderont plus les films de pirates de la même façon…
    Nous vous souhaitons cependant une suite plus paisible pour vos aventures.
    Amitiés.

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  7. Bravo vous avez assuré Vous ne parlez pas du second bateau avec lequel vous faisiez route ?
    Leur steakper s’est il aperçu que étiez en difficulté ? Si oui pas cool de sa part
    Bisous et bonne nav pour la suite

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  8. J’en ai la chair de poule!! Un OUF puissance dix que vous n’ayez pas eu affaire à eux, franchement bravo aux capitaines pour les décisions, le cran et la persévérance! Barrer sans arrêt sous stress n’a pas dû être des plus joyeux… Les enfants n’ont pas fait trop de cauchemars après?
    Allez, vite des eaux calmes et turquoise et une bonne entrecôte maître d’hôtel!
    xxxx IA ORANA
    PS: la tige de notre pilote a cassé exactement au même endroit, décidément!!

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  9. Bravo de vous en être sortis sans trop de casse et indemnes de ces péripéties piratesques!
    Magnifique rédaction de Perrine (j’ai même ressenti les embruns sur la figure) et très bon débriefing pour tout l’équipage
    Perrine as tu prévue d’ouvrir un café -restaurant -littéraire à ton retour …style « au bon pirate »😉😉
    Bises à tout l’équipage
    Dothy et Paul

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  10. Pensons bien à vous nous avons eu des frissons en vous lisant espérant de meilleurs jours à venir gros gros bisous à vous cinq et bon vent

    Franck, François💗

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  11. Whaou ! Impressionant…Captain Philippe ce n’est pas qu’au cinéma !
    Bravo pour le sang-froid de l’équipage et aux performances de Sea You ! Prenez soin de vous ! Bises à vous 5
    DomDom

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